TRIBUTE to KAMEL YAHIAOUI (1966-2023) - A witness from both shores.

From 11 April to 14 May 2022 - Museum - Institut du monde arabe, Paris.

  • YAHIAOUI, La Main du secours.

    La Main du secours, 2020. Sculpture, 107 x 40,2 x 40,2 cm. This piece is unique. Donation Claude and France Lemand. Museum, Institut du monde arabe, Paris. © Kamel Yahiaoui. Courtesy Galerie Claude Lemand, Paris.

  • YAHIAOUI, La Mer des Tyrannies.

    La Mer des Tyrannies, 2020. Installation. Mixed media, diameter 420 cm. This piece is unique. Donation Claude and France Lemand. Museum, Institut du monde arabe, Paris. © Kamel Yahiaoui. Courtesy Galerie Claude Lemand, Paris.

Kamel YAHIAOUI. A wit­ness from both shores. (Algeria-France, 1966-2023)

After Anissa Bouayed

- Kamel Yahiaoui, La Mer des tyran­nies, 2020. Installation en matériaux divers, diamètre 420 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.

La Mer des tyran­nies est une œuvre impres­sion­nante, engageant forte­ment les sen­ti­ments de com­pas­sion et de révolte devant l’une des grandes tragédies des premières décen­nies du XXIe siècle. Kamel Yahiaoui évoque ici, avec une instal­la­tion de grande ampleur, le voyage de la dernière chance de tous les can­di­dats à la traversée, au prix de nou­veaux risques liés à leurs esquifs de for­tune, comme le radeau qu’il a con­struit. Cette œuvre, l’artiste la porte en lui depuis son propre exil en France, au moment de la Décennie noire et après avoir com­pris que son sort d’exilé était partagé par tant d’êtres traqués par des dic­tatures, chassés par la guerre ou pour­suivis par la misère. Accompagnant son tra­vail sur les migra­tions, ses œuvres peintes sur des planches de la série des Noyés datent du tout début des années 2000. Cette nou­velle œuvre veut mon­trer les deux faces de cette Méditerranée et des rêves qu’elle trans­porte sur ces frêles radeaux, la face obscure du danger et le bleu inso­lent de cette mer atti­rante depuis deux siè­cles pour la vil­lé­gia­ture et le tourisme. Sa forme cir­cu­laire appelle à envis­ager la terre sans hiérar­chie entre nord et sud, comme appar­tenant à tous, cepen­dant qu’elle nous délivre un récit que per­son­ni­fient les crânes de ceux qui sont perdus à jamais, mais deman­dent jus­tice. Dialogue sym­bol­ique avec les morts, arrachés à leurs derniers rêves, indis­pens­able pour leur rendre leur dig­nité, casser la banal­i­sa­tion de ces tragédies et garder notre humanité.
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Artiste plas­ti­cien et poète, Kamel Yahiaoui con­sidère l’art comme poli­tique. Il mène une recherche sub­ver­sive de vérité, au prix d’un tra­vail d’élaboration esthé­tique long et com­plexe, ren­dant l’œuvre sig­nifi­ante bien au-delà du moment de sa pro­duc­tion.

Né à Alger en 1966, il est issu d’un milieu mod­este et con­traint très tôt au tra­vail pour aider sa famille. Il sera entre 1987 et 1989 l’un des étudiants remar­quables et atyp­iques de l’Ecole des beaux-arts d’Alger, choix hasardeux, hors de toute tra­jec­toire pro­fes­sion­nelle raisonnée, sans doute par prox­imité avec une mère à l’imag­i­na­tion féconde, util­isant le truche­ment d’objets du quo­ti­dien pour donner à sa vie de la poésie. Il par­ticipe active­ment à la longue grève de 1987-1988 qui met en ques­tion les con­di­tions, les formes, le con­tenu de l’enseigne­ment de l’Ecole, dans un con­texte déjà marqué par le poids de l’islamisme. En octobre 1988, des émeutes à travers l’Algérie sont réprimées dans le sang, reflet de l’immo­bil­isme poli­tique, en dépit de la timide ouver­ture démocra­tique qui s’ensuit. Ce con­texte permet de com­prendre la dimen­sion sociopoli­tique, dès ses débuts, du tra­vail de Kamel Yahiaoui. L’une de ses premières œuvres s’inti­tule « On tor­ture les tor­turés », ter­rible con­stat d’un jeune homme qui voit l’émeute réprimée avec des pra­tiques sim­i­laires à celles endurées pen­dant la lutte pour l’indépen­dance.

Kamel Yahiaoui entend revendi­quer son ancrage social en élaborant un art qui n’établisse pas de coupure, tout en étant exigeant, créatif, pour inter­roger, entre autres, l’emprise idéologique sur le quo­ti­dien et pour rendre compte du réel sans le copier. Dans cette quête, il est soutenu par son aîné et ami le peintre Abdelwahab Mokrani et par l’un des enseignants de l’Ecole, Denis Martinez. Il engage une réflexion sur l’emprise des signes dans la société con­tem­po­raine, par exemple avec une série d’instal­la­tions sonores faites à partir de postes de télévi­sion des années 1960. Son engage­ment poli­tique et moral envers son peuple par­ticipe sans doute pro­fondé­ment de sa volonté de ne pas être un énième représen­tant d’un « art savant » des­tiné à une élite, même s’il est un excel­lent peintre.

Kamel Yahiaoui com­mence en Algérie à se frayer un chemin en s’appro­priant des objets qui devi­en­nent des sup­ports de ses œuvres, tels que ser­pil­lières, sacs de semoule, planches à laver,… Utiliser de tels objets courants, qui témoignent des dif­fi­cultés crois­santes de la vie des gens, a un sens pro­fondé­ment humain, même si l’artiste pour­suit aussi un but formel en tirant de ces matériaux des effets plas­tiques sur­prenants. Pour Kamel Yahiaoui, l’objet intro­duit du réel dans l’œuvre. Plus qu’un sup­port, il est une matrice qui porte déjà, comme sys­tème de signes, un fort pou­voir de sug­ges­tion, que le tra­vail artis­tique va révéler, démul­ti­plier ou réori­enter vers une autre sig­ni­fi­ca­tion, selon la stratégie adoptée.

- Kamel Yahiaoui, La Main du sec­ours, 2020. Sculpture en matériaux divers, 107 x 40 x 40 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.
La Main du sec­ours aborde la tragédie de Beyrouth, en délais­sant la con­ster­na­tion pour la provo­ca­tion. Composée d’objets dont le rap­proche­ment inat­tendu (con­sole, filet, moulage de mains) pro­duit un sen­ti­ment d’absur­dité, elle rap­pelle les assem­blages sur­réal­istes et s’offre à nous comme une énigme à déchiffrer, mais qui gardera son secret et sa polysémie. Pour tenter de la résoudre, le geste de la main nous guide. Mais ce geste est inversé en son con­traire dans un inquié­tant dédou­ble­ment. Par la métonymie de la main et du geste, se pro­fi­lent deux scènes, le beau geste des sauveteurs et celui, avide, des pré­da­teurs. L’ensemble, d’un blanc froid et clin­ique, est organisé pour arriver à une dis­tance « ironique », ren­forcée par le moulage de la même main, la main droite de l’artiste, dans deux pos­tures réversibles. Une sculp­ture posée là comme un petit théâtre de la cru­auté, pour évoquer, tout en sachant ce qui se joue « en sous-main », la néces­saire action sol­idaire.

Copyright © Galerie Claude Lemand 2012.

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