Zoulikha BOUABDELLAH, Le Sommeil (Hommage à Gustave Courbet), 2016-2019. Laque rouge sur huit papiers, 160 x 280 cm. © Zoulikha Bouabdellah. Courtesy Galerie Claude Lemand, Paris.
Présentation par Anissa Bouayed
L’art de Zoulikha Bouabdellah est un moyen non-neutre de parler de notre monde, d’en contester certains aspects, de vouloir le transformer - un art transgressif, dont on retrouve l’intentionnalité dans des œuvres dénonçant des situations longtemps considérées comme normatives, comme la question du genre ou celle de la place faite aux femmes dans l’ordre patriarcal dominant.
Les dernières œuvres de Zoulikha Bouabdellah témoignent d’une attention soutenue aux œuvres de l’histoire de l’art européen pour les activer, les faire parler à nouveau, aujourd’hui, non pas du passé mais du présent, en les regardant à partir d’intentions esthétiques et politiques actuelles. Non que l’artiste ait abandonné l’autre pan de sa création, qui puise dans sa culture musulmane les éléments qu’elle remodèle selon ses objectifs créatifs. Mais elle s’attelle à la construction d’une œuvre ample, qui témoigne dans son évolution même, dans la multiplicité des centres d’intérêt et l’élargissement des thématiques, d’une conscience à l’échelle du monde.
Dans Le Sommeil, le tracé suit les courbes de deux corps. Le trait est inachevé, suspendu, sa couleur rouge monochrome nous renvoie au sang, symbole de vie et au rouge sensuel du plaisir charnel, que la pose amoureuse des deux corps noués dans le sommeil sublime, conservant cette belle manière de Courbet d’évoquer le plaisir féminin et le saphisme dans le contexte social rigoriste qui était le sien.
Zoulikha enjambe les siècles pour signifier que les questions du contrôle social sur les femmes ne sont pas encore réglées et met en place ce dispositif parcellaire qui nous fait mentalement nous souvenir de l’œuvre citée dans son intégralité, alors qu’elle ne propose que des morceaux de corps, organisés autour d’un centre vide, qui nous happe comme dans un vertige et éveille en nous un refus du morcellement.