OEUVRE de la SEMAINE - MAY MURAD - Réalité virtuelle 2.

Du 26 avril au 15 mai - Galerie Claude Lemand

  • MURAD, Virtual Reality 2.

    Virtual Reality 2, 2020. Acrylique sur toile, 96 x 144 cm. © May Murad. Courtesy Galerie Claude Lemand, Paris.

OEUVRE de la SEMAINE - MAY MURAD - Time cannot be paused.
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Pauline de Laboulaye : May Murad. Réalité vir­tuelle.

Le tra­vail de May Murad tente de conci­lier pré­sence phy­si­que et pré­sence vir­tuelle. Ses auto­por­traits ne tran­si­tent pas par un miroir, mais par une cap­ture d’écran (screen­shot). Pas de face à face contem­pla­tif avec sa propre image, mais un désir intense d’expres­sion et de com­mu­ni­ca­tion à tra­vers le seul canal dont l’artiste dis­pose, l’ordi­na­teur. Née à Gaza, dans la plus grande prison du monde, May Murad subit un double enfer­me­ment géo­gra­phi­que et cultu­rel, sous la férule d’un régime reli­gieux et patriar­cal qui confine les femmes. Comme l’oiseau voit le monde entre les bar­reaux de sa cage, elle ouvre des fenê­tres électroniques. Leurs codes visuels et séman­ti­ques devien­nent le cadre fami­lier de sa recher­che d’âmes sœurs et de sa décou­verte du monde au-delà du mur. Derrière les rideaux fermés de sa cham­bre de Gaza elle se libère des car­cans ves­ti­men­tai­res et incarne la jeune fille qu’elle désire être, pour elle-même et pour les autres. Elle va jusqu’à effec­tuer un échange vir­tuel de pay­sa­ges et de plan­tes avec une artiste écossaise, Rachel Ashton, qui lui envoie des vues de forêts ver­doyan­tes et l’initie au dessin bota­ni­que.

Lorsque par mira­cle May Murad obtient un permis de sortie du ter­ri­toire, assorti d’une inter­dic­tion de retour pen­dant un an, elle prend la déci­sion dif­fi­cile de l’exil et atter­rit dans ce monde exté­rieur tant rêvé. Mais la réa­lité conti­nue à lui échapper. En arri­vant en France, elle se rend compte que son pays n’existe pas ; sa natio­na­lité est « indé­ter­mi­née ». Une autre langue, une autre culture, une autre nos­tal­gie la colle à nou­veau devant son écran pour pleu­rer en famille, sans étreintes ni odeurs. La soli­tude de l’exil puis du confi­ne­ment suc­cède à celle de la prison natale.

Heureusement il y a la pein­ture, le coup de pin­ceau joyeux ou rageur, la touche tendre, lente ou rapide, la vibra­tion de la cou­leur, la dou­ceur du modelé, la fausse pro­fon­deur d’une ombre et les éclats de lumière. Alors qu’à Gaza l’artiste émergeait avec peine d’une ombre grise qui ne cédait qu’à quel­ques tons stri­dents, les der­niè­res œuvres bai­gnent dans une atmo­sphère bleu­tée cha­leu­reuse, cette bulle d’espace intime créée par le rayon­ne­ment lumi­neux de l’écran. La pein­ture console après la frus­tra­tion de l’échange électronique mais elle lui reste fidèle ; elle ne modi­fie pas l’image mais elle la magni­fie, lui donne l’âme qui lui manque, s’obs­tine à com­mu­ni­quer.

Allongée parmi de volup­tueux cous­sins, absor­bée par sa lec­ture ou par son monde inté­rieur, voire endor­mie, la pein­tre modèle s’adresse au regar­deur sur un mode intros­pec­tif, d’une inti­mité à l’autre. Alors s’ouvre une fenê­tre puis une autre, trans­pa­rente ou voilée, conju­rant toute illu­sion de pro­fon­deur et de maté­ria­lité. Un appa­reil d’icônes, de pic­to­gram­mes et de chif­fres, de menus dérou­lant une liste de choix impé­ra­tifs, de mots d’ordre ou d’erreur, d’ins­truc­tions cryp­ti­ques comme des injonc­tions exis­ten­tiel­les, cons­ti­tuent le cadre par lequel passe toute com­mu­ni­ca­tion intime. May Murad les recueille et se les appro­prie fai­sant de ce lan­gage le mes­sage lui-même ; elle y puise un lexi­que poé­ti­que où des signes devien­nent mythes et où les mots retrou­vent une réa­lité phy­si­que et émotionnelle « pour être moins seule ».

Le tra­vail de May Murad prend une nou­velle actua­lité en ce temps de pan­dé­mie où les rap­ports pas­sent plus sou­vent par l’infor­ma­ti­que. En inter­ro­geant la notion de pré­sence, phy­si­que et vir­tuelle, il convo­que la pos­si­bi­lité de l’effa­ce­ment, du vir­tuel comme anti­cham­bre de la déma­té­ria­li­sa­tion, de la défi­gu­ra­tion jusqu’à la dis­pa­ri­tion. Ainsi de ce Jamil, pri­son­nier pales­ti­nien défi­guré par la tor­ture que sa femme ne reconnait pas lors de son procès au tri­bu­nal de Jérusalem, et qui lui crie « I am Jamil, ya Rawan I exist I exist… » (C’est moi Jamil, hé ! Rawan, j’existe, j’existe…).

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