Khaled TAKRETI, Joujoux, Hiboux, Cailloux (série Les Grands Enfants), 2007-2008. Technique mixte sur papier épais, 130 x 320 cm.
Khaled Takreti est syrien, né en 1964 à Beyrouth. Il part étudier à l’université de Damas l’architecture et le design ainsi que la gravure, avant de se consacrer à la peinture, qui deviendra une passion et une thérapie, à partir des années 1990. Après avoir séjourné en Egypte et aux Etats-Unis, il s’installe à Paris au début des années 2000.
« Ces différents lieux de résidence ont contribué à forger le questionnement qu’il porte sur les notions d’identité et d’origine, qui se concentre moins sur les aspects géographiques ou culturels que sur ses racines familiales. Cela explique sans doute la présence récurrente, dans son œuvre, de portraits de famille, en particulier de sa mère. Chaque tableau devient alors la page d’un journal intime. Cependant, loin de se replier sur un drame personnel, Khaled Takreti s’ouvre, au fil des années, sur une perspective plus universelle, à laquelle les conflits internes syriens et libanais - tant politiques que sociétaux - ne sont pas étrangers.
Son langage pictural, très proche du Pop art, lui permet d’aborder les travers du monde qui l’entoure (par exemple les excès liés à la société de consommation, les restrictions de la liberté) avec un humour sarcastique teinté d’autodérisien, lorsqu’il inclut sa propre image dans sa composition. Cet humour, toutefois, repose sur un évident fond de sérieux ; il semble correspondre à la magistrale définition qu’en donnait Chris Marker « la politesse du désespoir » et traduit toujours un second degré.
Ses toiles sont exposées sur la scène internationale et sont conservées dans des collections privées et publiques : Musée National Syrien, Musée Arabe d’Art Moderne de Doha, Musée de l’Institut du monde arabe, Musée de l’histoire de l’Immigration. » (Thierry Savatier)
Joujoux, Hiboux, Cailloux a été réalisée en 2007. Khaled Takreti vient de s’installer à Paris, après avoir suivi son partenaire. S’ensuivent neuf mois d’isolement et d’enfermement dans leur appartement. Khaled Takreti a besoin de temps ; il entre dans une créative introspection dont naîtront neuf toiles, réalisées pendant ces neuf mois coupé du monde. Le même visage y est reproduit inlassablement, celui de son compagnon qui devient enfant, mère, père, ami. Cet enfermement créatif donnera lieu à une dernière toile monumentale et magistrale, réel condensé de cette quête intérieure. Joujoux, Hiboux, Cailloux met ainsi en scène le même visage, celui de l’être aimé, le seul que Khaled voit et redécouvre jour après jour pendant neuf mois.
Ces personnages colorés, pittoresques et parfois loufoques, n’arrivent pas à cacher la grande mélancolie qui se dégage des regards et des postures. La composition linéaire et la découverte frontale des visages cloisonnent, enferment presque chaque personnage dans son individualité. La rencontre, l’échange entre les protagonistes est impossible, allégorie à la fois de la proximité de la vie ensemble et de l’éloignement, de la solitude de la vie moderne que la domesticité ne peut seule résoudre. « Les visages impassibles ne révèlent rien des traumatismes ou de ce qui cimente les relations de tous ces personnages entre eux. Le faux-semblant des vêtements, réalisés à partir de collages, et l’effacement des silhouettes, recouvertes d’une couleur uniforme, rompent avec toute recherche de véracité et concourent à une certaine forme d’indifférence visuelle. » (Khaled Takreti)