Exposition ADEN-MARSEILLE. Peintures et sculptures de Nasser AL-ASWADI.
Présentation par Claude Lemand
Je me réjouis que les musées de Marseille aient décidé de mettre en lumière les oeuvres récentes, sculptures et peintures, de l’artiste yéménite et français Nasser Al-Aswadi. Ces œuvres représentent un aboutissement et un tournant dans son parcours de 20 ans à Marseille, un enrichissement de ses formes et symboles, puisé dans les périodes anciennes des cultures du Yémen : l’alphabet sudarabique et la huppe, l’oiseau fétiche de la Reine de Saba.
En effet, en même temps que ce premier usage dans ses sculptures de l’alphabet ancien du Yémen, l’Arabie Heureuse des Anciens, Nasser Al-Aswadi fait surgir dans ses peintures la première forme figurative, le profil de la Huppe. Jusque-là, ses peintures étaient toujours perçues comme ayant des formes abstraites, dessinées par un tissage libre et savant de mots arabes, manuscrits et répétés des milliers et des milliers de fois, jusqu’à l’extase, provoquant la transfiguration de l’espace en nuages, en planètes, en lunes aux multiples phases (est-ce déjà le dieu-lune des Sabéens ?).
Nasser Al-Aswadi a une prédilection pour les formes parfaites (le tondo en peinture et la sphère en sculpture (des espaces difficiles à maîtriser, un vrai défi pour les artistes), qui ont une forte charge symbolique. La sphère n’a ni commencement ni fin, elle offre des visions ouvertes et illimitées sur la vie de notre planète et sur l’univers. Comme objet, cette sphère est formée de lettres en métal, découpées au laser et soudées les unes aux autres pour former une planète parfaite, un vitrail sphérique, traversé par la lumière et créant une multitude de formes selon l’angle de vision. Face à l’œuvre, l’œil passe de lettre en lettre et effectue le même geste, celui-ci laïc et artistique, en substitut au geste du croyant qui égrène les 99 boules de son chapelet en récitant les 99 noms de Dieu et semblable aussi au geste répétitif de l’artiste, qui combine sur sa sphère les lettres de son alphabet sudarabique et inscrit sans se lasser sur sa toile le même mot jusqu’à l’extase, produisant des peintures contemporaines aux allures de talismans.
La Huppe n’est pas mentionnée dans le récit biblique de la visite que fit la Reine de Saba au roi Salomon à Jérusalem (Premier Livre des Rois, 10. 1-13), contrairement au récit coranique qui la met à l’honneur comme messagère intelligente, éloquente et indispensable entre le Roi et la Reine (Coran, Les Fourmis, 27. 20-44), faisant d’elle l’oiseau symbole de l’Islam.
L’Alphabet sudarabique est-il pour Nasser Al-Aswadi un moyen d’échapper à l’alphabet arabe, devenu aux yeux des Occidentaux trop assimilé à un Islam envahissant ? Ou est-ce une volonté d’intégrer dans son œuvre toutes les civilisations du Yémen ? Ou la simple volonté d’affirmer paisiblement que tout alphabet possède des valeurs symboliques et artistiques pour qui sait le maîtriser et inventer les combinaisons et métamorphoses illimitées de formes, qui chantent l’harmonie universelle et enchantent tous les Humains, partout et toujours.
Loin de son pays en guerre, l’artiste redonne vie et réalité symbolique aux arts, cultures, histoires, légendes et héros de son pays idéal, à l’Arabie Heureuse du passé et de l’avenir, faite de prospérité, de beauté, d’harmonie avec la Nature, avec les peuples voisins et lointains, un vœu de fraternité universelle. La magie de l’Art n’est-elle pas de pouvoir consoler les individus et les sociétés blessés et d’ouvrir une fenêtre sur une meilleure condition humaine ?