Fatima El-Hajj, LE CHANT DE LA TERRE. Peintures récentes.

Du 8 septembre au 4 octobre 2014 - Galerie Claude Lemand

  • Fatima El-Hajj, La Lecture.

    La Lecture, 2013. Huile et acrylique sur toile, 100 x 100 cm. Donation Claude & France Lemand. Musée, Institut du monde arabe, Paris. © Fatima El-Hajj. Courtesy Galerie Claude Lemand, Paris.

  • Fatima El-Hajj, Femme au miroir.

    Femme au miroir, 2013. Acrylique et huile sur toile, 146 x 114 cm. Collection privée. © Fatima El-Hajj. Courtesy Galerie Claude Lemand, Paris.

Carole Dagher. L’Orient Le Jour, 10 sep­tem­bre 2014 : Fatima el-Hajj magni­fie Le Chant de la terre.

Un fes­ti­val de cou­leurs qui éclaboussent le regard, avec toute la viru­lence du rouge et la lumi­no­sité du jaune, pré­do­mi­nants dans cette nou­velle série de toiles où l’on se pro­mène comme en un mer­veilleux jardin chargé de sym­bo­les. On y retrouve les thèmes de pré­di­lec­tion de l’artiste, liens étroits avec la nature, quête de séré­nité au milieu du tour­billon des jours et de l’actua­lité pesante. Les jar­dins et les parcs (Ranelagh, Montsouris, musée Rodin, jardin de l’artiste dans son vil­lage de Rmeileh) res­tent sa pre­mière source d’ins­pi­ra­tion, com­man­dant une com­po­si­tion où pri­ment le rouge autom­nal, le vert apai­sant du prin­temps et les tou­ches bleues de la dou­ceur. Ce « chant de la terre » auquel Fatima el-Hajj est sen­si­ble, la relie, comme un cordon ombi­li­cal, au seul bon­heur pos­si­ble, celui de l’har­mo­nie avec la nature, lieu de retrou­vailles avec soi-même. Souvent en grand format, à l’huile ou mélan­gées à l’acry­li­que, conju­guant une tech­ni­que poin­tilliste avec de vastes aplats de cou­leur, ses toiles retien­nent l’ébauche des formes humai­nes « pour mieux sug­gé­rer la fusion avec la nature, pré­cise l’artiste, car nous sommes partie pre­nante de notre envi­ron­ne­ment ». La sil­houette fémi­nine y est comme esquis­sée, absor­bée dans la lec­ture ou la rêve­rie. La nudité, à peine sug­gé­rée, n’a rien d’érotique, même pas dans Femme au miroir ; c’est « une nudité gibra­nienne qui tra­duit plutôt l’inno­cence du jardin d’Éden, le para­dis perdu », pré­cise Fatima el-Hajj.

Cette pré­sence fémi­nine déten­due, allon­gée dans l’herbe, la plu­part du temps avec un livre à la main, est une ode à la vie, à la dou­ceur d’être, à la liberté de créer. Elle est sur­tout, en ces temps trou­bles où la femme est vic­time du fana­tisme et de l’into­lé­rance, un mani­feste en faveur de la femme et de l’enfant, pour la néces­sité de s’ins­truire, d’appren­dre, d’écouter de la musi­que. C’est le thème du Concert cham­pê­tre, où un joueur de man­do­line dis­tille les notes invi­si­bles de l’ins­tant par­fait. Dans une autre toile magis­trale inti­tu­lée Repos, où le pin­ceau de l’artiste réus­sit un subtil tra­vail de mosaï­que de cou­leurs, une forme fémi­nine est étendue, plon­gée dans la lec­ture, dans l’or de la lumière, à deux pas d’une petite fille, pen­chée elle aussi sur son cale­pin. Même le chat au coin du tableau semble absorbé dans le déchif­frage d’un livre ouvert devant lui. Le livre, outil de résis­tance contre l’igno­rance et la vio­lence, est omni­pré­sent dans l’œuvre de Fatima el-Hajj. Il est au cœur d’un tableau ori­gi­nal, inti­tulé Bibliothèque ancienne. On y voit un groupe de lec­teurs assis sur des cous­sins à l’orien­tale, têtes rap­pro­chées, devi­sant ou lisant, comme pour sug­gé­rer que la connais­sance impli­que le par­tage. Autour d’eux, des étagères char­gées de livres, deux lutrins pour lec­teurs soli­tai­res. Le savoir impli­que aussi de par­ta­ger la même eau, à la même source : une belle aiguière bleue trône sur une table basse de style arabe, à côté d’un verre, un seul pour tous, dans une sym­bo­li­que évidente. « Cette biblio­thè­que orien­tale est un rappel de l’âge d’or de la civi­li­sa­tion arabe », expli­que l’artiste, qui se demande « ce qui est advenu de cette belle culture qui est la nôtre et pour­quoi l’on ne remet pas le livre au centre de nos loi­sirs et de nos acti­vi­tés ». « Mes cou­leurs sont gaies, mais mon cœur est triste », confie-t-elle. C’est en pei­gnant la beauté du monde que Fatma el-Hajj trans­cende le mieux son inquié­tude devant les ten­sions du pré­sent et l’incer­ti­tude de l’avenir. La société dans laquelle nous évoluons a plus que jamais besoin de redé­cou­vrir les petits plai­sirs de la vie, liés à l’art et à la connais­sance. Peindre, lire, jouer de la musi­que : autant de mani­fes­ta­tions nobles d’une civi­li­sa­tion épanouie. C’est faire de la résis­tance cultu­relle et artis­ti­que que de conti­nuer aujourd’hui à les pra­ti­quer. La pein­ture comme un refuge, pour y pré­ser­ver la fraî­cheur de l’âme, pour subli­mer le quo­ti­dien. Une pein­ture qui n’exclut pas la soli­tude pro­fonde de l’être, assis sur un banc ou sous un arbre, sou­vent dans un coin du tableau. Ou alors plongé en pleine médi­ta­tion, au cœur même de la toile, tel ce « pen­seur du prin­temps », veillé par un aman­dier en fleurs. La pein­ture comme un hymne à la vie, telle cette mer­veilleuse com­po­si­tion où l’on entend le rire des enfants et leurs jeux au parc Montsouris, ce parc si cher à l’artiste puisqu’il lui rap­pelle l’ate­lier du pein­tre Shafic Abboud, qui fut son pro­fes­seur à l’Université liba­naise et pour lequel elle voue une fidèle reconnais­sance.

C’est dans une quête inlas­sa­ble du bon­heur que Fatima el-Hajj s’est réso­lu­ment enga­gée à tra­vers son art. Dans ses toiles où passe le mes­sage de la vie, veillent deux emblè­mes récur­rents : la cafe­tière bleue, sym­bole de la convi­via­lité de notre société, et le chat, « esprit fami­lier du lieu », comme dirait Baudelaire. La pein­ture de cette grande artiste bien de chez nous évoque irré­sis­ti­ble­ment ce mot de Cézanne : « L’art est une har­mo­nie paral­lèle à la nature. »

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