Mahjoub Ben Bella

MAHJOUB BEN BELLA S’EST ETEINT LE MATIN DU 11 JUIN 2020.

L’artiste Mahjoub Ben Bella s’est éteint hier matin à Lille, entouré de ses pro­ches, au terme d’un long et cou­ra­geux combat contre la mala­die.
Claude et France Lemand s’asso­cient à la peine de sa famille et se joi­gnent à ses très nom­breux amis, artis­tes, col­lec­tion­neurs, his­to­riens d’art et conser­va­teurs de musées à tra­vers le monde, pour pré­sen­ter à son épouse Brigitte et à ses enfants Souhir et Nadgib nos plus sin­cè­res condo­léan­ces et expri­mer notre admi­ra­tion, notre amitié et notre fidé­lité au grand pein­tre qu’il fut et à sa per­son­na­lité si géné­reuse et rayon­nante.
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Claude Lemand.
Né en 1946 à Maghnia, dans l’ouest algé­rien. Sa for­ma­tion se fait dans les écoles des Beaux-arts d’Oran, puis à Tourcoing et à Paris. Il s’établit en France, dans le Nord gris et cha­leu­reux qui l’adopte et qu’il illu­mi­nera des cou­leurs et de la lumière de sa Méditerranée natale. Peinte neuf jours avant sa dis­pa­ri­tion, sa der­nière pein­ture sur son lit d’hôpi­tal en est la par­faite illus­tra­tion.

Mahjoub Ben Bella fut un pein­tre vir­tuose aux mul­ti­ples facet­tes. Parallèlement à ses gran­des et peti­tes pein­tu­res sur toile, sur papier, sur bois ou sur pavés du Nord, il réa­lise des céra­mi­ques, des objets, des gra­vu­res, des per­for­man­ces et des fres­ques monu­men­ta­les dans des lieux publics. En 1986, il peint les célè­bres pavés du Paris-Roubaix, L’envers du Nord, fres­que rou­tière de 12 kilo­mè­tres (35 000 mètres carrés), tapis de signes, rou­leau d’écritures. Deux années plus tard, en juin 1988, il réa­lise le por­trait de Nelson Mandela pour le concert‐é­vè­ne­ment au stade de Wembley. En 2000, il inves­tit une sta­tion de métro à Tourcoing où il crée une mosaï­que géante, com­po­sée de 1800 car­reaux de céra­mi­que.

Expositions per­son­nel­les et col­lec­ti­ves dans de nom­breux musées, cen­tres d’art et gale­ries d’Europe, du Proche-Orient et une rétros­pec­tive au MAMA d’Alger. Mahjoub Ben Bella est repré­senté dans plu­sieurs musées et col­lec­tions publi­ques : The British Museum de Londres, le musée de l’Institut du monde arabe à Paris, The Royal Gallery de Amman en Jordanie, La Piscine de Roubaix, le MUBA de Tourcoing, le LaM de Villeneuve-d’Ascq, la mairie de Lille, la Dalloul Foundation de Beyrouth, la KA Collection du Liban, etc. Grâce à la dona­tion Claude & France Lemand de 2018, le musée de l’Institut du monde arabe est désor­mais riche de seize de ses lumi­neu­ses pein­tu­res.

Un hom­mage lui sera rendu dans l’un des musées du Nord de la France : La Piscine de Roubaix ou le Musée des beaux-arts de Lille. A Paris, un hom­mage lui sera rendu dans ce musée de l’Institut du monde arabe si cher à son cœur d’artiste algé­rien, fran­çais et uni­ver­sel.
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Marie-Odile Briot.
En 1986, il peint les célè­bres pavés du Paris-Roubaix, L’envers du Nord, fres­que rou­tière de 12 kilo­mè­tres (35 000 mètres carrés). Ce tapis de signes, ce rou­leau d’écritures, n’est que l’une des méta­mor­pho­ses d’un ima­gi­naire cal­li­gra­phi­que géné­ra­teur de son espace pic­tu­ral. (...) Ben Bella pro­cède à un “dérè­gle­ment sys­té­ma­ti­que” de la cal­li­gra­phie arabe pour en faire l’espace d’une pein­ture capa­ble d’inves­tir de sa minu­tie la magie des tablet­tes et des talis­mans, et de l’ampleur de sa ryth­mi­que le format gigan­tes­que des toiles. La cal­li­gra­phie déve­loppe en contre­point la répar­ti­tion des taches colo­rées et l’économie répé­ti­tive de la ligne, comme une cho­ré­gra­phie désyn­chro­ni­sée dont les écarts ouvrent des ver­ti­ges, comme une poly­pho­nie dont les dis­cor­dan­ces hal­lu­ci­nent. Ce que cette transe doit à la musi­que, ses amis com­po­si­teurs le savent. Ce que cette “véhé­mence des signes” doit à l’his­toire reste au secret de leur illi­si­bi­lité : dans tels “talis­mans” cousus, les jour­naux contem­po­rains de la guerre d’Algérie tien­nent lieu de texte sacré. (Marie-Odile Briot, Dictionnaire d’art moderne et contem­po­rain, Hazan, Paris)
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Jean-Louis Pinte.
Ce que l’on dis­tin­gue d’abord dans sa pein­ture, c’est bien sûr le signe. Sa répé­ti­tion. Sa réso­nance comme s’il s’agis­sait d’un chant incan­ta­toire. Mais le propos de Mahjoub Ben Bella n’est pas d’illus­trer ou de suivre les traces illus­tra­ti­ves d’une quel­conque cal­li­gra­phie arabe. Non ! Il en tra­duit sim­ple­ment une musi­ca­lité qui trouve son rythme aussi bien dans le trait que dans la cou­leur. La par­ti­tion s’égrène de part en part, lan­ci­nante et vibrante de tous les sons. Bousculant le silence de la mono­chro­mie, il couvre la toile jusqu’à l’excès, la frappe du sceau de ses cro­ches, l’embel­lit de tona­li­tés chan­tan­tes. Il la trans­porte dans une abs­trac­tion syn­co­pée et linéaire. Dépassant par­fois cette simple tona­lité, il tente de nous perdre dans le bruis­se­ment même de la vie, dans des pay­sa­ges fré­mis­sants, des stri­den­ces rete­nues. Connu pour ses fres­ques rou­tiè­res dans le nord de la France, Ben Bella a recou­vert de ses signes 12 kilo­mè­tres de pavé. Dans ses toiles, il com­pose des champs sacrés dont les sillons nous entraî­nent au-delà du simple lyrisme. Il se laisse pos­sé­der par le ver­tige de l’écriture jusqu’à l’extase. Jusqu’à deve­nir le chan­tre d’un livre de priè­res à la gloire même de l’art.
(Jean-Louis Pinte, Les champs sacrés de Ben Bella, Figaroscope)
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Mustapha Laribi.
Longtemps réglées par la gra­phie arabe, les créa­tions de Mahjoub Ben Bella n’en ont conservé peu à peu que le maté­riau pic­tu­ral, don­nant à voir une œuvre dense qui s’ins­crit dans un double héri­tage : celui de la cal­li­gra­phie arabe et de la pein­ture euro­péenne. Qu’il joue sur la pro­fu­sion des motifs ou sur les per­for­man­ces de sa gamme chro­ma­ti­que, l’artiste crée un cons­tant et minu­tieux dia­lo­gue du signe et de la cou­leur. (Mustapha Laribi, Algérie à l’affi­che, 1998)
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Alain Jaubert, La Musique des signes.
Avec sa cou­leur savane, ses poils sau­va­ges, le papier thaï de Mahjoub Ben Bella porte l’émotion de son arti­sa­nat d’ori­gine, il sent sa jungle, il bruisse de rumeurs asia­ti­ques, il craque, il se gon­dole, montre ses veines, sa paille et son grain ; se sou­vient du mariage entre les bouillies de car­tons et le gros­sier châs­sis qui l’a engen­dré. Il est si beau qu’il faut du cou­rage pour oser l’encol­ler, le blan­chir, le noir­cir, le mouiller de cou­leurs. « Il a déjà une âme. Il y a un homme der­rière. » dit le pein­tre.

Bien sûr, Ben Bella a été fas­ciné par les cal­li­gra­phies orien­ta­les. Mais son abs­trac­tion n’est ni reli­gieuse ni poli­ti­que, ni théo­ri­que ni polé­mi­que. Il reven­di­que la non-signi­fiance. Non pas l’abs­trac­tion au sens commun, l’amé­ri­caine ou la fran­çaise, mais une nou­velle forme, écriture, danse et musi­que mêlées. Le refus de la figure non pas en vertu d’une ico­no­gra­phie reli­gieuse ou cultu­relle, mais parce qu’elle ne tra­dui­rait pas suf­fi­sam­ment le lan­gage des nerfs, la musi­que de la main.

Gouache, aqua­relle, taches, stries, bala­fres, cal­li­gra­phies ner­veu­ses à la plume de musi­cien. Opacité ou trans­pa­rence, noir ou cou­leur, page d’écriture ou feu d’arti­fice, vitrail ou mantra, damier ou buis­son brous­sailleux, lavis rêveur ou griffe touf­fue, par­fois même du vide qui sur­prend.

Comme il aligne ses let­tres faus­ses et folles, le pein­tre cons­truit ses pages. Colonnes, hié­ro­gly­phes, poèmes, entre­fi­lets, ver­sets, tablet­tes, par­che­mins, enlu­mi­nu­res, let­tres ornées, entre­lacs minia­tu­res, autant de mas­sifs d’écritures et de signes. Il n’a aucun texte en tête. Comme dans un rêve, le livre se déploie, tourne ses pages en nombre infini. Au réveil, il y a quand même un tableau !
(Alain Jaubert, Ben Bella. La Musique des Signes. Catalogue de l’expo­si­tion Mahjoub Ben Bella. Les belles feuilles, La Piscine, Roubaix, 2015)

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