Fatima El-Hajj

Claude Lemand. Jardins de l’âme.

Les pay­sa­ges de Fatima El-Hajj sont ins­pi­rés des parcs et jar­dins des villes qu’elle a obser­vés et aimés au cours de ses voya­ges au Liban, au Yemen, au Maroc, en France. Sa palette et sa mémoire ont gardé vives les formes, les cou­leurs et la lumière de ces lieux et de leurs habi­tants. Ses pein­tu­res sont sur­tout le reflet du jardin qu’elle a elle-même amé­nagé devant son ate­lier de Rmaileh, à la manière de Claude Monet qui a créé son jardin de Giverny et qui fut le seul sujet de ses pein­tu­res au cours des 30 der­niè­res années de sa vie.

Le jardin de Fatima El-Hajj est beau­coup plus modeste et dif­fé­rent par nature de celui du maître impres­sion­niste, car ce qu’elle peint inlas­sa­ble­ment, ce sont les facet­tes infi­nies de son jardin inté­rieur, peuplé de silence et de beauté, d’une femme absor­bée par la lec­ture ou la contem­pla­tion, d’un couple que la musi­que enchante, de petits grou­pes par­ti­ci­pant à une fête cham­pê­tre et cita­dine. Elle aime à dire que ses pein­tu­res sont une invi­ta­tion à aller à la décou­verte de notre propre jardin inté­rieur, ce para­dis qui est en nous et qui peut nous appor­ter la séré­nité, la beauté et l’enchan­te­ment.

Fatima El-Hajj ne cache pas son admi­ra­tion pour Matisse, Bonnard et Vuillard, sans oublier le pein­tre liba­nais et pari­sien Shafic Abboud, qui fut son pro­fes­seur admiré et aimé. Elle appar­tient à cette famille de pein­ture et elle est reconnais­sante envers ces grands maî­tres de l’avoir aidée à trou­ver sa propre voie.

Née au Liban en 1953, Fatima El-Hajj a obtenu en 1978 son diplôme à l’Institut des Beaux-arts de l’Université Libanaise, puis celui de l’Académie des Beaux-arts de Leningrad et enfin en 1983 le diplôme de l’Ecole natio­nale supé­rieure des arts déco­ra­tifs de Paris. Elle ensei­gne à l’Institut des Beaux-arts de Beyrouth depuis 1985, année où elle obtint le Prix Picasso à Madrid. Depuis 1986, elle expose régu­liè­re­ment au Liban, dans plu­sieurs pays arabes où elle est connue et reconnue (Kuwait, Emirats A. Unis, Bahrein, Syrie, Maroc, Qatar, …), en Espagne et en France.
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Thierry Savatier.
Il y a dans sa pein­ture une absence de conces­sion, une recher­che d’un monde per­son­nel, d’une har­mo­nie qui semble naître de sen­ti­ments contra­dic­toi­res, entre quié­tude, révolte, rêve et doute. Elle peint sur toile ou sur pan­neau, à l’huile comme à l’acry­li­que, sou­vent en grand format. En colo­riste, elle ne néglige pas les effets de matière. Mouvement, lumière, formes sug­gé­rées s’accor­dent dans ses tableaux, au point, par­fois, de tutoyer l’abs­trac­tion. L’expo­si­tion Les Jardins de l’âme offre une syn­thèse fidèle du tra­vail de Fatima El Hajj qui est consi­dé­rée, dans son pays, comme le fruit de l’école fran­çaise.

Soulignons tou­te­fois qu’étant née et vivant en Orient, elle a tout natu­rel­le­ment su échapper aux « sté­réo­ty­pes orien­ta­lis­tes » qui ne sont fina­le­ment que le regard super­fi­ciel porté par une culture sur une autre, avec son iné­vi­ta­ble prisme défor­mant, ses idées reçues. Pourtant, une telle clas­si­fi­ca­tion serait par trop réduc­trice. Il faut plutôt voir dans sa pein­ture une pas­se­relle dres­sée entre deux mondes, l’Orient et l’Occident, le visi­ble et l’invi­si­ble, une pein­ture en accord avec la voca­tion uni­ver­selle de l’art. (Thierry Savatier, Blog Le Monde)
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Carole Dagher. Fatima el-Hajj ou le bon­heur de pein­dre.

Dans sa cap­ta­tion sin­gu­lière de la lumière et des cou­leurs, Fatima el-Hajj intro­duit un souf­fle très liba­nais, celui du par­tage, de l’amitié, sym­bo­li­sés par l’heure du café, la sieste, la visite des voi­sins, le déjeu­ner cham­pê­tre. Et l’on se prend à rêver de ce bon­heur au quo­ti­dien que Fatima el-Hajj fait revi­vre sous son pin­ceau, comme pour conju­rer la fré­né­sie et l’inquié­tude du monde qui nous entoure. « Je suis une fille du vil­lage, où les amis et les voi­sins ont gardé des liens cha­leu­reux. Notre vie au Liban, c’est ça, pas l’autre, celle qu’on veut nous impo­ser, faite de ten­sions et de conflits. » Elle refuse la guerre et ce qu’elle engen­dre, même sur le plan de l’art. Fatima el-Hajj est convain­cue que la voca­tion de l’artiste est d’appor­ter du bon­heur. Pari tenu. (Carole Dagher, L’Orient Le Jour, sept. 2011).
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Carole Dagher. Fatima el-Hajj magni­fie Le Chant de la terre.

Après Les Jardins de l’âme, Le Chant de la terre. C’est sous ce titre que Fatima el-Hajj pré­sente sa deuxième expo­si­tion pari­sienne à la gale­rie Claude Lemand. Un fes­ti­val de cou­leurs qui éclaboussent le regard, avec toute la viru­lence du rouge et la lumi­no­sité du jaune, pré­do­mi­nants dans cette nou­velle série de toiles où l’on se pro­mène comme en un mer­veilleux jardin chargé de sym­bo­les. On y retrouve les thèmes de pré­di­lec­tion de l’artiste, liens étroits avec la nature, quête de séré­nité au milieu du tour­billon des jours et de l’actua­lité pesante. Les jar­dins et les parcs (Ranelagh, Montsouris, musée Rodin, jardin de l’artiste dans son vil­lage de Rmeileh) res­tent sa pre­mière source d’ins­pi­ra­tion, com­man­dant une com­po­si­tion où pri­ment le rouge autom­nal, le vert apai­sant du prin­temps et les tou­ches bleues de la dou­ceur.

Ce « chant de la terre » auquel Fatima el-Hajj est sen­si­ble, la relie, comme un cordon ombi­li­cal, au seul bon­heur pos­si­ble, celui de l’har­mo­nie avec la nature, lieu de retrou­vailles avec soi-même. Souvent en grand format, à l’huile ou mélan­gées à l’acry­li­que, conju­guant une tech­ni­que poin­tilliste avec de vastes aplats de cou­leur, ses toiles retien­nent l’ébauche des formes humai­nes « pour mieux sug­gé­rer la fusion avec la nature, pré­cise l’artiste, car nous sommes partie pre­nante de notre envi­ron­ne­ment ». La sil­houette fémi­nine y est comme esquis­sée, absor­bée dans la lec­ture ou la rêve­rie. La nudité, à peine sug­gé­rée, n’a rien d’érotique, même pas dans Femme au miroir ; c’est « une nudité gibra­nienne qui tra­duit plutôt l’inno­cence du jardin d’Éden, le para­dis perdu », pré­cise Fatima el-Hajj.

Cette pré­sence fémi­nine déten­due, allon­gée dans l’herbe, la plu­part du temps avec un livre à la main, est une ode à la vie, à la dou­ceur d’être, à la liberté de créer. Elle est sur­tout, en ces temps trou­bles où la femme est vic­time du fana­tisme et de l’into­lé­rance, un mani­feste en faveur de la femme et de l’enfant, pour la néces­sité de s’ins­truire, d’appren­dre, d’écouter de la musi­que. C’est le thème du Concert cham­pê­tre, où un joueur de man­do­line dis­tille les notes invi­si­bles de l’ins­tant par­fait. Dans une autre toile magis­trale inti­tu­lée Repos, où le pin­ceau de l’artiste réus­sit un subtil tra­vail de mosaï­que de cou­leurs, une forme fémi­nine est étendue, plon­gée dans la lec­ture, dans l’or de la lumière, à deux pas d’une petite fille, pen­chée elle aussi sur son cale­pin. Même le chat au coin du tableau semble absorbé dans le déchif­frage d’un livre ouvert devant lui.

Le livre, outil de résis­tance contre l’igno­rance et la vio­lence, est omni­pré­sent dans l’œuvre de Fatima el-Hajj. Il est au cœur d’un tableau ori­gi­nal, inti­tulé Bibliothèque ancienne. On y voit un groupe de lec­teurs assis sur des cous­sins à l’orien­tale, têtes rap­pro­chées, devi­sant ou lisant, comme pour sug­gé­rer que la connais­sance impli­que le par­tage. Autour d’eux, des étagères char­gées de livres, deux lutrins pour lec­teurs soli­tai­res. Le savoir impli­que aussi de par­ta­ger la même eau, à la même source : une belle aiguière bleue trône sur une table basse de style arabe, à côté d’un verre, un seul pour tous, dans une sym­bo­li­que évidente. « Cette biblio­thè­que orien­tale est un rappel de l’âge d’or de la civi­li­sa­tion arabe », expli­que l’artiste, qui se demande « ce qui est advenu de cette belle culture qui est la nôtre et pour­quoi l’on ne remet pas le livre au centre de nos loi­sirs et de nos acti­vi­tés ».

« Mes cou­leurs sont gaies, mais mon cœur est triste », confie-t-elle. C’est en pei­gnant la beauté du monde que Fatma el-Hajj trans­cende le mieux son inquié­tude devant les ten­sions du pré­sent et l’incer­ti­tude de l’avenir. La société dans laquelle nous évoluons a plus que jamais besoin de redé­cou­vrir les petits plai­sirs de la vie, liés à l’art et à la connais­sance. Peindre, lire, jouer de la musi­que : autant de mani­fes­ta­tions nobles d’une civi­li­sa­tion épanouie. C’est faire de la résis­tance cultu­relle et artis­ti­que que de conti­nuer aujourd’hui à les pra­ti­quer. La pein­ture comme un refuge, pour y pré­ser­ver la fraî­cheur de l’âme, pour subli­mer le quo­ti­dien. Une pein­ture qui n’exclut pas la soli­tude pro­fonde de l’être, assis sur un banc ou sous un arbre, sou­vent dans un coin du tableau. Ou alors plongé en pleine médi­ta­tion, au cœur même de la toile, tel ce « pen­seur du prin­temps », veillé par un aman­dier en fleurs. La pein­ture comme un hymne à la vie, telle cette mer­veilleuse com­po­si­tion où l’on entend le rire des enfants et leurs jeux au parc Montsouris, ce parc si cher à l’artiste puisqu’il lui rap­pelle l’ate­lier du pein­tre Shafic Abboud, qui fut son pro­fes­seur à l’Université liba­naise et pour lequel elle voue une fidèle reconnais­sance.

C’est dans une quête inlas­sa­ble du bon­heur que Fatima el-Hajj s’est réso­lu­ment enga­gée à tra­vers son art. Dans ses toiles où passe le mes­sage de la vie, veillent deux emblè­mes récur­rents : la cafe­tière bleue, sym­bole de la convi­via­lité de notre société, et le chat, « esprit fami­lier du lieu », comme dirait Baudelaire. La pein­ture de cette grande artiste bien de chez nous évoque irré­sis­ti­ble­ment ce mot de Cézanne : « L’art est une har­mo­nie paral­lèle à la nature. »
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Thierry Savatier. Le Chant de la Terre.

Avec sa nou­velle expo­si­tion pari­sienne, inti­tu­lée Le Chant de la Terre (Galerie Claude Lemand, 16, rue Littré, 75006 Paris, jusqu’au 4 octo­bre 2014), l’artiste liba­naise Fatima El-Hajj retrouve une palette éclatante où les rouges, les jaunes, les verts et les bleus sem­blent sortir de l’espace cir­cons­crit des toiles pour entraî­ner le spec­ta­teur dans un tour­billon chro­ma­ti­que. La der­nière fois que j’avais visité son ate­lier de Rmeileh, près de Saïda (Liban) il y a un peu plus d’un an, j’avais été frappé par ses tableaux qui fai­saient alors appel à des cou­leurs assez som­bres, tra­dui­sant une atmo­sphère inha­bi­tuel­le­ment pesante.

Cette rup­ture tem­po­raire s’estompe aujourd’hui avec une série de tra­vaux récents qui pla­cent la lumière au centre de la créa­tion et célè­brent la nature dans ce qu’elle peut offrir de plus flam­boyant, mais aussi - et ce n’est pas le moin­dre des para­doxes - de plus doux. Sur les cimai­ses, la fraî­cheur des jar­dins pari­siens (Ranelagh, parc Montsouris) où le vert s’exprime plei­ne­ment dans toutes ses nuan­ces voi­sine avec l’ardeur enso­leillée des pay­sa­ges médi­ter­ra­néens, sug­gé­rée par le rayon­ne­ment des rouges et des ors.

Comme les Nymphéas de Monet, la pein­ture de Fatima El-Hajj néces­site de pren­dre du recul : près du tableau, les jeux de matiè­res, les larges aplats par­se­més de tou­ches et de points, à la limite de la pro­jec­tion, feraient volon­tiers penser à une pein­ture abs­traite, mais il suffit de s’éloigner de quel­ques pas pour que la com­po­si­tion s’assem­ble, se cons­truise et révèle son thème. Le regard à l’œuvre décou­vre alors des sil­houet­tes sug­gé­rées, d’ani­maux (notam­ment de chats - ces chats qui évoluent si libre­ment dans le jardin de l’artiste) ou de femmes la plu­part du temps. « Suggérées », car les formes res­tent avant tout allu­si­ves, comme si les êtres devaient se fondre avec la nature, dans une har­mo­nie qui exclu­rait toute vaine ten­ta­tive de domi­na­tion.

Cet uni­vers, on le pres­sent, s’éloigne du réel angois­sant, fait d’insé­cu­rité, de vio­lence, de fana­tis­mes, pour pro­po­ser une appro­che vivi­fiante et paci­fiée, une invi­ta­tion bau­de­lai­rienne au voyage, « Là où n’est qu’ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté. » Face au monde tel qu’il se pré­sente, la démar­che se révèle donc d’autant plus sub­ver­sive qu’elle tend vers l’apai­se­ment, la rêve­rie, la culture (à tra­vers les sculp­tu­res, les ins­tru­ments de musi­que et les livres que l’on retrouve entre les mains des per­son­na­ges), notions qui échappent aux socié­tés pré­ci­pi­tées au bord du gouf­fre par des conflits qui les dépas­sent.

Même si, dans quel­ques œuvres, se pro­file un rappel de l’Orient, comme dans Bibliothèque ancienne (2013) où une cafe­tière et la table sur laquelle elle est posée ne lais­sent aucun doute, la pein­ture de Fatima El-Hajj, le plus sou­vent de grand format, atteint l’uni­ver­sel, comme ces pay­sa­ges de Pierre Bonnard avec les­quels ses toiles cou­si­ne­raient faci­le­ment. (Thierry Savatier, Blog lemonde.fr , 18 09. 2014)

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