Dia Al-Azzawi

Claude Lemand.
"Né en 1939 en Irak, Dia Al-Azzawi obtient ses diplô­mes supé­rieurs en archéo­lo­gie et en art à l’Université puis à l’Institut des Beaux-Arts de Bagdad. Il s’établit à Londres en 1976. Peintre, sculp­teur, artiste du livre et pro­mo­teur de la jeune créa­tion ira­kienne. Nombreuses expo­si­tions per­son­nel­les dans les gale­ries, les foires inter­na­tio­na­les, les musées et cen­tres d’art. Collections publi­ques et pri­vées à tra­vers le monde : British Museum, Banque Mondiale, Institut du Monde Arabe, Bibliothèque Nationale de France, Fondation Ona, Fondation Kinda, Mathaf du Qatar, Tate Modern, ...
Dia Azzawi fut le pre­mier et prin­ci­pal artiste pana­rabe qui a déve­loppé, durant les années 1970, les rela­tions entre les artis­tes du Machreq et ceux du Maghreb ; il a noué des liens plus par­ti­cu­liè­re­ment avec les grands artis­tes maro­cains nova­teurs de sa géné­ra­tion et a exposé à main­tes repri­ses dans les gale­ries du royaume. A partir de Bagdad, Beyrouth, Rabat et Londres, il fut le moteur des fes­ti­vals et bien­na­les de la réo­rien­ta­tion de l’axe Nord-Sud vers un axe Est-Ouest arabe et inter­na­tio­nal.
Passionné par les arts gra­phi­ques et l’édition, il a réa­lisé une mul­ti­tude d’estam­pes ori­gi­na­les, de port­fo­lios et de livres d’artiste et joué un rôle majeur dans la créa­tion et la dif­fu­sion des arts gra­phi­ques arabes moder­nes en Europe, dans le Monde arabe et à tra­vers les Amériques. Son œuvre a cons­tam­ment cons­truit des mondes visuels auto­no­mes et paral­lè­les à ceux des poètes, avec une égale maî­trise des tech­ni­ques occi­den­ta­les ancien­nes et récen­tes : gra­vure, litho­gra­phie, séri­gra­phie et numé­ri­que.
Rappelons que la Galerie Claude Lemand a montré régu­liè­re­ment, depuis 1995, les oeu­vres de Dia Al-Azzawi, dans les­quel­les l’artiste témoi­gne de sa moder­nité posi­tive et de sa volonté que l’art contri­bue au bon­heur de tous et à l’émergence d’une nou­velle civi­li­sa­tion arabe qui soit en har­mo­nie avec elle-même et avec les autres civi­li­sa­tions.
Dia Al-Azzawi est connu aussi pour ses oeu­vres magis­tra­les qui témoi­gnent des guer­res et des mas­sa­cres qui ont ensan­glanté le Proche-Orient : Sabra & Chatila (polyp­ty­que, 1982-83, 300 x 750 cm, acquis par la Tate Modern en juillet der­nier. La gale­rie Claude Lemand l’avait exposé en 2003 à la Cité du Livre d’Aix-en-Provence, avec d’autres œuvres autour du poète pales­ti­nien Mahmoud Darwish), Bilad al-sawad (Terre noire, 1991-2011, des­sins, pein­tu­res et sculp­tu­res sur la guerre en Irak)." (Claude Lemand)

Dia Al-Azzawi. « Mon œuvre s’ins­crit dans le mou­ve­ment de renais­sance de l’art arabe, mais elle est uni­ver­selle dans sa dimen­sion et inti­me­ment liée à l’his­toire ainsi qu’aux valeurs de la culture contem­po­raine ».

Pascal Amel. Dia Al-Azzawi, ou le pein­tre de la révolte des formes. (2013)

Figure éminente de la moder­nité arabe qu’il a lar­ge­ment contri­bué à défi­nir, pein­tre lettré, sculp­teur, des­si­na­teur et gra­veur, Dia Al-Azzawi a tou­jours for­te­ment reven­di­qué l’héri­tage des civi­li­sa­tions arabes et l’ins­crip­tion de sa pra­ti­que dans l’actua­lité artis­ti­que contem­po­raine.

Né en 1939 à Bagdad où il se pas­sionne, en tant qu’archéo­lo­gue, pour les arts de l’Islam et la richesse du patri­moine de la Mésopotamie, il vit à Londres depuis plus de trente-cinq ans d’où, à tra­vers ses contacts per­ma­nents avec les artis­tes et les poètes des prin­ci­pa­les capi­ta­les du monde arabe, son enga­ge­ment lucide et huma­niste - ses prises de posi­tion théo­ri­ques et esthé­ti­ques, sa cons­cience aiguë des tra­gé­dies de l’Histoire qui endeuillent trop sou­vent cette région du monde (la Palestine, les guer­res de l’Irak, etc.) - il a patiem­ment créé une œuvre sin­gu­lière mi-figu­ra­tive mi-abs­traite, à la fois réfé­ren­tielle et orne­men­tale, expres­sive et ouverte qui est autant de l’ordre de l’opti­que que de l’hap­ti­que - l’œil et le tou­cher, l’unité de la pensée, de la sen­sa­tion et de la vision.

Au su de l’actuel jaillis­se­ment des artis­tes contem­po­rains arabes - l’élargissement du regard à la pla­nète étant le fait majeur de cette pre­mière décen­nie du XXIème siècle dans le champ artis­ti­que - nul doute que la place de l’œuvre de Dia Al-Azzawi va deve­nir effec­tive dans les musées d’art moderne du monde entier ; comme tou­jours, ce qui advient dans le pré­sent nous oblige à relire le passé.

Dans cette expo­si­tion, le pein­tre pré­sente des des­sins de sa série consa­crée, en 1987, à l’Epopée de Gilgamesh. Rappelons que ce pro­di­gieux récit légen­daire de la Mésopotamie est l’une des œuvres lit­té­rai­res les plus ancien­nes de l’huma­nité, la pre­mière ver­sion com­plète connue ayant été rédi­gée en akka­dien dans la Babylonie du XVIIIème siècle av. J.-C. ; elle s’ins­pire de plu­sieurs tra­di­tions mythi­ques orales, en par­ti­cu­lier sumé­rien­nes, com­po­sées vers la fin du IIIe mil­lé­naire. Gravée avec un stylet en roseau sur des tablet­tes d’argile le plus sou­vent sub­di­vi­sées en cases, l’écriture cunéi­forme, la pre­mière de l’huma­nité avec celle des hié­ro­gly­phes égyptiens, jux­ta­pose des pic­to­gram­mes « figu­ra­tifs » sym­bo­li­sant des objets, et des signes sché­ma­ti­ques « abs­traits » cons­ti­tués de traits en forme de « coins » ou de « clous » trans­cri­vant un son (plus pré­ci­sé­ment une syl­labe). Incisions, signes, pic­to­gram­mes, sym­bo­les : ce sont les éléments de base du voca­bu­laire formel de l’œuvre gra­phi­que de Dia Al-Azzawi qu’il libère, bien entendu, du sens lit­té­ral pour un équivalent visuel poé­ti­que cap­tant la réso­nance sen­si­ble - en lui : corps et esprit - des extraits de l’épopée sumé­rienne qu’il a choi­sis de nous révé­ler. Le cheval, le tau­reau, l’œil, les corps sexués, les tra­jets sen­so­riels et émotionnels d’une figure esquis­sée à l’autre que concré­tise l’enche­vê­tre­ment orne­men­tal des emprein­tes et des dia­gram­mes, des lignes et des cou­leurs, le sur­gis­se­ment dyna­mi­que de la pro­fon­deur vers la sur­face, carac­té­risé par le pas­sage de la bidi­men­sion­na­lité de la feuille de dessin à une tri­di­men­sion­na­lité vir­tuelle, le legs du passé comme mémoire libre per­sis­tante et expan­sion per­pé­tuelle, s’unis­sent au béné­fice d’une nou­velle expres­si­vité du pré­sent.

Une autre série de des­sins, datée de 1978, est consa­crée aux Mu’alla­qat, des odes préis­la­mi­ques qui, du VIème au VIIème siècle, lors de joutes ora­toi­res où riva­li­saient les plus grands poètes des diver­ses tribus de la Péninsule ara­bi­que, auraient été « sus­pen­dues » à la Ka’ba de La Mecque. La petite dizaine de pièces illus­tres - qasida - que la tra­di­tion arabe a conser­vée, fait l’éloge du pro­tec­teur, exalte la bra­voure, fus­tige l’ennemi, évoque nos­tal­gi­que­ment la beauté de la bien-aimée, chante l’ivresse, l’étendue du désert, l’au-delà inac­ces­si­ble… Lui-même homme de mots, Dia Al-Azzawi, épris de poésie et d’absolu, cal­li­gra­phie en noir, plus rare­ment en rouge, des vers arabes qu’il dis­pose sur la page blan­che, uti­li­sée pareille­ment à une par­ti­tion ou à une ban­nière. Simultanément, il fait surgir des blocs ver­ti­caux de sym­bo­les abs­traits et de figu­res vivan­tes évocatrices - eux aussi noirs - qui, bien que ne l’illus­trant pas, cor­res­pon­dent à la den­sité sonore et visuelle de l’ode : ce qui importe, ce sont les rela­tions har­mo­ni­ques ou au contraire dis­cor­dan­tes appor­tant le poids et le vide néces­sai­res à la com­po­si­tion spa­tiale que génère la confron­ta­tion ou l’imbri­ca­tion du texte et de l’image : « ce qui est pré­sent ici, ce ne sont ni les mots, ni le temps ancien qui contient ces poèmes, mais plutôt l’accu­mu­la­tion des let­tres et la suc­ces­sion des sym­bo­les sur une seule voie. La poésie n’est pas seu­le­ment sym­bole ou langue. C’est la capa­cité d’ima­gi­ner et de se remé­mo­rer en fonc­tion de la puis­sance de cette faculté et de l’étendue des signi­fi­ca­tions qu’elle est capa­ble de s’appro­prier » écrit l’artiste dans l’un de ses textes cri­ti­ques. L’accu­mu­la­tion, voire la com­pres­sion, de la gra­phie arabe et des éléments figu­ra­tifs et abs­traits res­ti­tue les sen­sa­tions et les affects que la pro­fé­ra­tion du poème a engen­drés, comme si la main n’était pas seu­le­ment le pro­lon­ge­ment de l’œil mais le sis­mo­gra­phe sen­si­ble du corps tout entier, en proie à sa propre pul­sion, à sa propre mémoire. L’archi­tec­to­ni­que - le che­mi­ne­ment épousant les acci­dents du ter­rain mental - est d’autant plus abrupte qu’elle entend sug­gé­rer l’illi­mité pro­duit par l’ima­gi­naire des formes et la rêve­rie pro­vo­qués par la lec­ture ou l’écoute du texte : par sa pra­ti­que exi­geante, le dessin noir et blanc puise à la source ori­gi­nelle de l’ins­crip­tion et de la trace, dit - ou dicte - l’essen­tiel de l’être.

Dans une autre série plus tar­dive, l’hom­mage à Al-Matunabbî, le célé­bris­sime auteur du Livre des sabres, que le pein­tre a entre­pris en 1996, la ver­ti­ca­lité fait place à l’hori­zon­ta­lité : le bloc s’aère, se dilate, les lignes tra­cées à l’encre de Chine sur la feuille blan­che créent un corps orga­ni­que infi­ni­ment vivant avec ses inter­val­les et ses gra­dua­tions, ses rup­tu­res et ses repri­ses, ses connexions et ses pas­sa­ges que sur­plom­bent les deux hémis­ti­ches du vers arabe cal­li­gra­phiés en noir ou en rouge comme dans les manus­crits arabo-isla­mi­ques. Les sen­ten­ces tirées de l’épopée auto­bio­gra­phi­que exal­tante et exal­tée d’Al-Matunabbî rédi­gée au Xème siècle entre Bagdad, Alep et Le Caire, sont autant de for­mu­les étonnamment contem­po­rai­nes prô­nant l’esprit de révolte et l’affir­ma­tion de soi : « J’ai pré­féré l’exil puis­que nul n’est supé­rieur à moi, et que mon seul juge est mon créa­teur », « Le temps est le seul assas­sin de l’homme », « Je ne cher­che pas à m’établir sur une terre ni à la quit­ter défi­ni­ti­ve­ment ; tou­jours inquiet, je suis assis sur les vents que j’oriente au sud ou à l’ouest. » Nul doute que la geste de l’illus­tre poète errant à l’âpre lyrisme et à la langue tour à tour glo­ri­fi­ca­trice et pour­fen­deuse a dura­ble­ment résonné dans l’ima­gi­naire de Dia Al-Azzawi, homme de convic­tions et de haute exi­gence.

La Guerre du Golfe de 1990 et 1991 atteint l’artiste de plein fouet. Lui qui n’a pas revu l’Irak depuis son exil à Londres, voit, comme tout un chacun, par le biais des images d’actua­lité, le feu et le sang se déver­ser à l’aveu­gle sur les vivants et les morts, les amis encore chers à son cœur et le patri­moine de la Mésopotamie, les vic­ti­mes civi­les et ce qui demeure l’une des contrées his­to­ri­ques de la civi­li­sa­tion arabe avec sa cité phare Bagdad. Tout d’abord, Dia Al-Azzawi esquisse sur des cahiers de des­sins dif­fé­rents cro­quis empreints d’une atmo­sphère suf­fo­cante : c’est la genèse de sa série inti­tu­lée Bilad Al-Sawad - « le pays de la terre brûlée » - le pays de la malé­dic­tion du pétrole, quand ce der­nier déchaîne les appé­tits les plus féro­ces. En 1993, le pein­tre à la cons­cience bles­sée des­sine au fusain noir une série de visa­ges sché­ma­ti­ques en gros plan, où le blanc de la com­pas­sion le dis­pute aux ténè­bres de la détresse. L’émotion est omni­pré­sente : les faces pleu­rent, les bou­ches ouver­tes hur­lent, les deux mains mas­quent les yeux déme­su­ré­ment obs­curs… Puis, sans doute songe-t-il à cet autre mas­sa­cre de masse venu du ciel que fut Guernica, sans doute songe-t-il à la seule arme à la fois déri­soire face à la bar­ba­rie armée et cepen­dant pré­cieuse pour l’esprit puisqu’elle est affir­ma­tion de l’humain au sein de l’inhu­ma­nité qu’est le chef-d’œuvre de Picasso. Durant cette der­nière décen­nie, il crée plu­sieurs toiles en noir et blanc où s’érige la sil­houette d’un homme, « l’irré­duc­ti­ble humain », de la confla­gra­tion d’un pay­sage à la fois phy­si­que et mental, où s’inter­pé­nè­trent les forces obs­cu­res de la mort et les forces dyna­mi­ques de la vie. Puis, très récem­ment, il y a deux ans, l’artiste peint un superbe polyp­ty­que de 330 x 760 cm dont les dimen­sions rap­pel­lent les fres­ques en bas relief du palais des rois Sargon - à Khorsabad, où vivaient les anciens monar­ques de l’Assyrie - qui, pour le spec­ta­teur, sont autant de l’ordre du regard que de celui de la per­cep­tion cor­po­relle. Malgré le thème funè­bre que Dia Al-Azzawi a choisi d’évoquer, les frag­ments de corps - les contours des têtes, des jambes, des pieds, des mains -, les sil­houet­tes archi­tec­tu­rées et les visa­ges sché­ma­ti­que­ment repré­sen­tés issus des ténè­bres, struc­tu­rées en autant de pans géo­mé­tri­ques, se che­vau­chent et se super­po­sent dans une liberté expres­sive deve­nue aérienne. Tout est hymne à la liberté et chant de vie. Tout est révolte et dona­tion.

Pascal Amel, écrivain, rédac­teur en chef de la revue (art abso­lu­ment).

Alain Jouffroy. Une moder­nité posi­tive (extraits), IMA, Paris, 2001.
Dia Azzawi a fait, à sa façon, comme Picasso qui avait inté­gré l’art afri­cain et l’art ibé­ri­que à l’art moderne occi­den­tal, pour lui donner plus de poids, plus de force uni­ver­selle ; il a fait aussi comme Matisse au Maroc, mais à l’envers. Sans aucune espèce de conces­sion aux goûts et aux modes mar­chan­des, sans aucune com­plai­sance, non plus, au folk­lore orien­tal spec­ta­cu­laire, Dia Azzawi a inté­gré, de façon extrê­me­ment sin­gu­lière et convain­cante, l’archi­tec­to­ni­que sumé­rienne - celle des tem­ples et des zig­gou­rats - à la dyna­mi­que de la moder­nité, telle qu’elle s’est mani­fes­tée et diver­si­fiée dans tous les pays déve­lop­pés. A ma connais­sance, il est le seul pein­tre arabe à avoir accom­pli cette prouesse, avec une aisance, une maes­tria et une si grande liberté.

Certains cher­che­ront, inu­ti­le­ment, à dépar­ta­ger ce qu’il y a d’arabe ou de non-arabe là-dedans, alors que c’est inex­tri­ca­ble­ment lié dans toute son œuvre. Mais ils n’y trou­ve­ront, même s’ils le cher­chent, rien d’ « exo­ti­que », y com­pris dans ces tableaux qu’Azzawi a consa­crés au Maroc et à Marrakech, qui lui ont ins­piré un chro­ma­tisme et un agen­ce­ment de formes plus sub­tils encore, qui m’évoquent, de loin, ceux que Paul Klee a conçus en décou­vrant, sou­dain ébloui, la lumière et les cou­leurs de la Tunisie.

Azzawi fait exis­ter, pour tous les regar­deurs, une pein­ture neuve, dont les sou­bas­se­ments préis­la­mi­ques sont le fon­de­ment, bien qu’elle ne soit, en aucun cas, leur illus­tra­tion pas­séiste et nos­tal­gi­que, moins encore natio­na­liste. Pour lui, Sumer et l’Assyrie, de même que l’Egypte pha­rao­ni­que, c’est aujourd’hui, tou­jours : des maniè­res uni­ques, mais uni­ver­sel­les, de voir et de donner à voir … Sa pein­ture se pré­sente comme l’affir­ma­tion d’une éternité soli­daire entre plu­sieurs cultu­res et plu­sieurs civi­li­sa­tions conver­gen­tes.

Si Dia Azzawi, Irakien en exil depuis près de trente ans, est aussi devenu lon­do­nien, ce n’est pas pour oublier, moins encore renier, Bagdad, mais pour lui redon­ner vita nova, nou­velle vie : future. Comme Dante l’a fait, dans la Divine Comédie, après son exil de Florence.

Par une œuvre géné­reu­se­ment ouverte aux hommes, à leur monde, une œuvre trans­ver­sale et trans­gres­sive, une œuvre char­gée de sens mul­ti­ples, exis­ten­tiels et poli­ti­ques, une œuvre contra­dic­toi­re­ment tra­gi­que et joyeuse, une œuvre qui fait triom­pher la vie sur la mort et son obses­sion, Azzawi contri­bue à faire appa­raî­tre la nou­velle civi­li­sa­tion arabe qui sur­gira, un jour ou l’autre, de ses déchi­re­ments inter­nes, de ses mal­heurs et de toutes ses folies sui­ci­dai­res … Son but est l’aug­men­ta­tion du bon­heur de tous par la seule créa­tion." (Alain Jouffroy, Dia Azzawi, Une moder­nité posi­tive. Catalogue de la rétros­pec­tive, IMA, 2001).

Nadine Descendre. "C’est au sein d’un conflit sur lequel pèse tout le poids de l’his­toire que la majeure partie des jeunes artis­tes arabes tente de décou­vrir un mode d’expres­sion authen­ti­que dans le monde ana­chro­ni­que de la pein­ture, appa­rem­ment incom­pa­ti­ble avec le pro­blème de la figu­ra­tion dans la repré­sen­ta­tion. Le refus de l’his­toire n’a pas de sens dans une tra­di­tion où l’aca­dé­misme n’existe pas. A une inter­dic­tion for­melle de l’his­toire, les artis­tes ont répondu par une façon non moins réelle de détour­ner l’inter­dit et une volonté déli­bé­rée de re-pro­duire le réel en « fai­sant autre chose », en pre­nant l’art comme sa propre fin, comme objet de ses pro­pres repré­sen­ta­tions.

Aujourd’hui où, pres­que par­tout dans le monde arabe, ces tabous ont été trans­gres­sés, la pro­blé­ma­ti­que de la figu­ra­tion s’est estom­pée. Reste la résis­tance, le fait d’oppo­ser une force à une autre en vue de n’en pas subir les effets. Elle est au cœur même de la créa­tion. C’est de cette force dont témoi­gne Dia Azzawi. Dans une négo­cia­tion tou­jours reconduite, il invente, entre le passé et le pré­sent, au-delà des fron­tiè­res entre les pays, entre l’his­toire et la vie, des situa­tions ima­gi­nai­res et il le fait tou­jours à partir de sa propre expé­rience. Sa sub­jec­ti­vité trans­pa­raît dans ce que l’on pour­rait appe­ler « son uni­vers ».

L’art n’est pas une repro­duc­tion objec­tive du réel, il en est l’inter­pré­ta­tion à tra­vers la pro­fon­deur et la force du style de la vision de l’artiste. En même temps, le propre de l’uni­vers d’un artiste est d’être com­mu­ni­ca­ble et le monde nous appa­raît dans son œuvre comme une « tota­lité déto­ta­li­sée », selon l’expres­sion de Sartre. Chaque expé­rience est unique ; l’art ins­taure une com­mu­ni­ca­tion et donne un sens au monde, mais ce sens reste pri­son­nier du concret. La rup­ture avec la société ancienne ne peut être une dis­conti­nuité abso­lue : un mou­ve­ment s’accom­plit à tra­vers elle.

C’est le mythe de l’homme natu­rel qui conduit à envi­sa­ger l’his­toire comme unique et linéaire, à partir du point zéro vers un maxi­mum de civi­li­sa­tion ! En fait, la diver­sité des cultu­res est paral­lèle à la diver­sité des his­toi­res (his­toire des tech­ni­ques, his­toire des idéo­lo­gies, his­toire de l’art, etc.), sur­tout lors­que dif­fé­ren­tes civi­li­sa­tions n’ont eu aucun contact his­to­ri­que entre elles. De cette diver­sité, Dia Azzawi a réso­lu­ment fait une res­source. Car l’artiste pos­sède un outil, son ima­gi­naire, qui lui permet de placer des inter­ro­ga­tions aux confins des époques et des espa­ces qui sépa­rent ou jux­ta­po­sent les pays et les civi­li­sa­tions. Il est au bord de l’his­toire, avec imper­ti­nence, et mesure l’acuité et le degré de sen­si­bi­lité des ren­contres qu’il opère. Il ras­sem­ble un à un les mor­ceaux d’un puzzle aux­quels il donne éclat et cou­leurs, et les amé­nage en d’autres dis­cours, plus contem­po­rains, plus justes à nos yeux et à nos oreilles. Non content d’évoluer à l’inté­rieur de ce mou­ve­ment de pen­dule, entre l’Orient et l’Occident, que nous évoquions plus haut, Dia Azzawi intro­duit dans son œuvre un autre élément de per­tur­ba­tion : des signes et figu­res héri­tés de l’art préis­la­mi­que, que la Mésopotamie lui a livrés à tra­vers les ves­ti­ges de l’art sumé­rien et assy­rien essen­tiel­le­ment.

La richesse iné­ga­lée de l’ico­no­gra­phie sumé­rienne est sans doute pour un artiste arabe un défi irré­sis­ti­ble. Se l’appro­prier, c’est déjà lui résis­ter. Dans un jeu de miroirs com­plexe, le réa­lisme sévère de l’art assy­rien a fait place à un monde étrange et fan­tas­ma­go­ri­que de tau­reaux andro­cé­pha­les, un art peuplé de fan­tô­mes, éliminés par le règne d’Assurbanipal et rem­pla­cés par un monde bien réel, comme ces décors de chasse que Dia Azzawi peut contem­pler à loisir sur les murs du British Museum. La syn­thèse est auda­cieuse entre l’Islam et l’art occi­den­tal, mais Dia Azzawi double cette confron­ta­tion de réfé­ren­ces qui remon­tent au IIIème mil­lé­naire, et dont la moder­nité esthé­ti­que n’est plus à démon­trer, en refu­sant l’ori­gi­na­lité héroï­que que nous reven­di­quons sans cesse, il se préoc­cupe non plus de l’infini mais des limi­tes. Il per­turbe à tel point les atti­tu­des conve­nues que l’on en vient à se deman­der où se place la contes­ta­tion et si les partis pris de cer­tains artis­tes arabes ne nous four­nis­sent pas une occa­sion de repla­cer nos mythes héré­di­tai­res dans le cadre d’une pensée ten­dant à appré­hen­der des tra­di­tions autres que la nôtre et de se débar­ras­ser de nos pro­pres mythes.

Et en même temps que s’affai­blit la croyance selon laquelle l’art occi­den­tal détient les clefs de l’avant-garde, s’estompe l’idée qu’il serait investi d’une mis­sion spé­ciale consis­tant à conduire le monde vers une remise en ques­tion per­ma­nente de l’art lui-même." (Nadine Descendre, Dia Azzawi, in Catalogue d’expo­si­tion, IMA, 1988).

Collections Publiques :

Arab Monetary Fund, Abu Dhabi.
Museum of Modern Art, Amman.
Museum of Modern Art, Baghdad.
Gulbenkian Collection, Barcelona.
ONA Foundation, Casablanca.
Museum of Modern Art, Damascus.
Mathaf, Arab Museum of Modern Art, Doha.
Development Fund, Kuwait.
British Museum, London.
V & A Museum, London.
Tate Modern, London.
The Saudi Bank, London.
The United Bank of Kuwait, London.
Institut du Monde Arabe, Paris.
Donation Claude & France Lemand 2018, Musée, Institut du monde arabe, Paris.
Bibliothèque Nationale de France, Paris.
Colas Foundation, Paris.
Kinda Foundation, Riyadh, Saudi Arabia.
Jeddah International Airport, Saudi Arabia.
Museum of Modem Art, Tunisia.
Library of Congress, Washington DC.
The World Bank, Washington, DC.

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