Algeria my Love - RACHID KORAÏCHI - Jardin d’Afrique.

From 23 May to 18 August 2022 - Institut du monde arabe

  • KORAICHI, Tu es mon amour depuis tant d’années.

    Tu es mon amour depuis tant d'années, 1999-2000. Group of 61 drawings, Indian ink on paper, diameter 13,5 cm. Donation Claude and France Lemand. Museum, Institut du monde arabe. Copyright Rachid Koraichi. Courtesy Galerie Claude Lemand, Paris.

  • KORAICHI, Jardin d’Orient 1.

    Vue du cimetière Jardin d'Afrique, à Zarzis, Tunisie.

  • KORAICHI, Jardin d’Orient. Stèle.

    Vue d'une stèle du cimetière Jardin d'Afrique, à Zarzis, Tunisie.

  • KORAICHI, Jardin d’Orient.

    Dans les bras de Rachid Koraïchi, une gamine sauvée d'un naufrage ... Image d'espoir et de futur.

Algeria my Love - RACHID KORAÏCHI - Jardin d’Afrique.

La con­férence du dimanche 5 juin, con­sacrée au Jardin d’Afrique de Rachid Koraïchi, se tiendra dans deux espaces de l’IMA, en présence de l’artiste, de 17h à 19h.

- 17h à 17h 30. Salle du Haut Conseil. Un con­cert, en hom­mage au Jardin d’Afrique. Le col­lectif instru­mental "Les Illuminations", dirigé par Aurélie Allexandre d’Albronn et le com­pos­i­teur Benjamin Attahir, jet­tent un autre regard sur Le Jardin d’Afrique de Rachid Koraïchi : une pièce pour trois vio­lon­celles et une voix de femme, écrite sur un extrait de "Le Jardin d’Afrique, Lieu dit pour un non dit", à paraître aux Editions Al Manar en décembre 2022.

- 17h40 à 19h. Espace des Donateurs. Présentation de photos du Jardin d’Afrique sur grand écran et échange entre l’artiste et le public.
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Les Jardins mémoriels de Rachid Koraïchi pour relier l’Humain à l’Histoire

Par Marc Pottier, Art Curator basé à Rio de Janeiro.

Nourri de la mys­tique soufie, Rachid Koraïchi déploie une œuvre uni­verselle, inspirée du chiffre et de la cal­ligra­phie. Tout en courant le monde sur les traces d’une famille aux racines mil­lé­naires, l’artiste et poète algérien crée des Jardins mémoriels. Après son Jardin d’Orient à Amboise, son Jardin d’Afrique à Zarzis, ville por­tu­aire au sud-est de la Tunisie, se veut un lieu de mémoire aux corps repêchés ou échoués en Méditerranée.

Un souffle sans fron­tière
Artiste plas­tique, écrivain, héri­tier d’une pres­tigieuse famille descen­dant du prophète, mécène, paysag­iste-archi­tecte… Rachid al Koraïchi le vol­u­bile est tout cela à la fois et bien plus encore. Cet éternel opti­miste qui doit con­tinuer de sourire en dor­mant, parle sans dis­con­tinuer de ses pro­jets à travers le monde. Cet artiste né en 1947 à Ain Beïda, installé en France depuis 1968, n’a aucune fron­tière ni géo­graphique, ni intel­lectuelle et encore moins spir­ituelle. L’ordi­na­teur n’a pas encore intégré son uni­vers, basé sur l’oralité. Avec lui tout est en direct sans inter­mé­di­aire. La parole vient du souffle, aime dire cet artiste aux semelles de vent.

Relié à une longue tra­di­tion mys­tique
Inspiré du mys­ti­cisme soufi, son tra­vail se car­ac­térise par un recours à la sym­bol­ique des chiffres, à la cal­ligra­phie, aux formes géométriques et adresse des mes­sages uni­versels aux publics du monde entier. Ses créa­tions favorisent les dia­logues entre les com­mu­nautés locales et mon­di­ales. Confiées aux arti­sans d’art tra­di­tion­nels du Monde arabe et de l’Espagne, elles décli­nent une var­iété de sup­ports ; de céramiques riche­ment peintes, en pas­sant par des sculp­tures ciselées ou des vit­raux, mais aussi par des soieries par­fois brodées qui jon­g­lent entre images et typolo­gies, sans oublier un recours aux pro­jec­tions vidéo.

La ryth­mique du chiffre 7
Aux sources de son art et de sa quête mys­tique de la per­fec­tion, un chiffre fétiche : le sept comme les sept piliers de la sagesse, sym­bole de la réu­nion du ciel (un tri­angle) et de la terre (un carré). Mais surtout comme les sept par­ties du corps en con­tact avec le sol pour la prière : deux pieds, deux genoux, deux mains et le front. Cette référence au chiffre se glisse comme une ADN dans les pro­por­tions, dimen­sions et les agence­ments de ses œuvres.

Le sym­bole de la lettre et du miroir
Rachid el Koraïch Le Chemin des Roses (1995-2005), instal­la­tion en hom­mage au poète soufi Jalal al Din al Rumi. L’artiste poète puise aussi dans la richesse sym­bol­ique de la lettre. Son maniement maîtrisé de la repro­duc­tion des sourates du livre sacré est l’héritage d’une éducation religieuse coranique soutenue par une famille soufie très religieuse. S’il a aban­donné la pra­tique, la gestuelle de l’écriture, le tracé des let­tres sont sans aucun doute restés gravés dans son esprit et est demeurée au cœur même de son art, tels qu’auront pu les décou­vrir les Parisiens à la Comédie Française en 2003 pour l’année de l’Algérie en France. Son ‘voile­ment’ du bâti­ment et les décors de scène avec des grandes ten­tures en soie cal­ligraphiées avec des textes éparts rendaient hom­mage à l’écrivain Kateb Yacine (1929-1989), fon­da­teur, éternel exilé de la lit­téra­ture algéri­enne mod­erne.

En l’évoquant, Rachid Koraïchi men­tionne qu’il écrit tou­jours en miroir, don­nant une image inversée de la réalité. Pour lui, le miroir est un entre deux qui oscille entre vérité et illu­sion. Seul Dieu a une juste image. Il en profite pour citer Al Rûmî (1207-1273), un de ses poètes favoris, à qui il avait dédié Le Chemin des roses. Cette instal­la­tion de céramiques et de sculp­tures résume bien une de ses con­vic­tions intimes : « La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s’est brisé. Chacun en ramasse un frag­ment et dit que toute la vérité s’y trouve. »

Au cœur de cette tra­di­tion cal­ligraphique mêlée à celle de l’oralité, la poésie est essen­tielle. Rachid Koraïchi a une ving­taine de livres à son actif. En 1990, le Centre Pompidou présente Salomé, fruit d’une col­lab­o­ra­tion avec le man­i­fes­tant au droit à l’insoumis­sion, Michel Butor (1926-2016). Il rendra hom­mage à René Char (1907-1988), créera des lithogra­phies pour L’Enfant-jazz de Mohammed Dib (1920-2003) ou les Poèmes de Beyrouth de Mahmoud Darwish (1941-2008) sans oublier les grands clas­siques tels que Ibn Arabi (1165-1240) et al-Attar (1142-1221)…

L’art rupestre du Tassili, musée de l’Humanité à ciel ouvert
Parmi les men­tors dans lesquels il inscrit son tra­vail, ce grand con­struc­teur évoque les artistes qui ont créé les gravures rupestres du Tassili n’Ajjer au sud-est de l’Algérie, datant d’environ 9-10.000 ans. Ces forêts de rochers cou­vrant une super­ficie de 72.000 Km² con­stituent une pro­tec­tion naturelle contre les tem­pêtes de sable et l’efface­ment du soleil pour ce pat­ri­moine mil­lé­naire de plus de 15.000 dessins et gravures. Témoignages réal­istes de l’évolution de la vie humaine et ani­male, cette démesure artis­tique, facile­ment acces­sible et anonyme, reste pour Rachid Koraïchi une puis­sante source d’inspi­ra­tions et la con­fir­ma­tion d’une éternelle con­nexion avec le monde.

Sur les traces nomades de la famille Koraïchi
Inscrits dans une longue fil­i­a­tion, les Koraïchi appar­ti­en­nent à une dynastie descen­dant du prophète, nomades dont plusieurs branches sont par­ties au 7ème siècle d’Arabie pour semer la bonne parole soufie d’une part jusqu’en Algérie et d’autre part jusqu’au Caucase. Rachid n’a eu cesse que d’être à la hau­teur de ce pesant héritage. Sur le chemin de ses ancêtres, répon­dent les travaux pharaoniques de ce héraut pour créer un incroy­able ensemble paysagé dans les 70 hectares de l’oasis Dar El Qamar (sud-est de l’Algérie proche de la Tunisie) pour ensuite lancer, avec le créa­teur de Biosphère II, John Allen (1929), une série de jardins des eaux usées. Ce n’est qu’une partie des œuvres-chantiers menées par l’artiste.

Habité par le mys­tique soufi Rûmî
« Hier, j’étais intel­li­gent et je voulais changer le monde. Aujourd’hui, je suis sage et je me change moi-même. » Rachid Koraïchi pour­rait faire sienne cette cita­tion de Djalal ad-Din Muḥammad Rûmî (1207-1273) ; ce chantre persan des odes est l’un de ses poètes favoris. Les prédi­ca­tions et inter­pré­ta­tions de rêves de celui dont le nom est intime­ment lié à l’ordre des « der­viches tourneurs » ou mevlevis, une des prin­ci­pales con­fréries soufies de l’islam, ont pro­fondé­ment influ­encé le soufisme. Autre influ­ence de Rûmî sur Rachid Koraïchi, il fut reconnu de son vivant comme un grand spir­ituel qui fréquen­tait les chré­tiens, les juifs tout autant que les musul­mans.

Une sépul­ture des corps naufragés de l’espérance
Cette mys­tique de la réc­on­cil­i­a­tion et de l’incar­na­tion des esprits a dicté la créa­tion du Jardin d’Afrique, oasis-sépul­ture à Zarzis. L’évidence de ce projet s’appuie sur l’alerte ter­rible du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui sig­nale que depuis le début de l’année 2019, une per­sonne sur sept dis­paraît en ten­tant de tra­verser la Méditerranée. C’est en con­statant l’inac­tion de la com­mu­nauté inter­na­tionale et en prenant con­nais­sance du traite­ment inap­pro­prié des corps repêchés ou jetés sur les grèves que Rachid s’est rendu dans la ville de Zarzis. Il y a acheté un lot de terre de 2500 m2 pour créer ce cimetière financé par la seule vente de ses œuvres. Aucune d’elles n’y appa­raîtra, car ce lieu de mémoire est pensé comme une œuvre d’art totale.

Si les murs sont blancs, en con­traste le sol est comme un mag­nifique tapis de car­reaux de céramique, copies de ceux de la Medina de Tunis du XVIIème siècle. En mobil­isant le savoir-faire d’arti­sans locaux, le projet inclut un cimetière non-con­fes­sionnel, un espace où les corps peu­vent être lavés avant leur enter­re­ment, un mon­u­ment et une chapelle pour tous les ser­vices religieux. Le projet dédie aussi à chaque vic­time une pierre tombale avec un nom quand la vic­time peut être iden­ti­fiée, la date de la mort, le code ADN de la per­sonne ainsi que des détails sup­plé­men­taires comme le sexe et la tranche d’âge approx­i­ma­tive. Aujourd’hui, ce cimetière pourra accueillir environ 800 mal­heureux. Liant ce projet aux chemins nomades de sa propre famille, les damnés de la terre aux damnés de la mer, Rachid va installer deux stèles de la branche cau­casi­enne des Koraïchi qui accueilleront les vis­i­teurs.

Le Jardin d’Orient, Château Royal d’Amboise
Ce cimetière n’est pas le premier imaginé par Rachid Koraïchi. En 2005, son Jardin d’Orient con­struit dans le Château Royal d’Amboise rassem­blait 25 sépul­tures en hom­mage à l’Émir Abdelkader et sa suite empris­onnés entre 1848 et 1852 à Amboise, après leur défaite face aux Français sur le sol de ce qui allait devenir l’Algérie. Quand il réal­i­sait un jardin dans le cadre du Festival des jardins de Chaumont, il est venu vis­iter ce lieu de sépul­tures à Amboise et a tout de suite soumis l’idée d’y créer un jardin du sou­venir pour redonner de la dig­nité à ces oubliés, avec 25 petites pierres car­rées, cha­cune de 49 cm de côté, sym­bol­isant le cube de la Kaaba, pour ces musul­mans exilés morts sans faire leur pèleri­nage à La Mecque. Chaque stèle en pierre d’Alep est sur­montée d’une sculp­ture en bronze ciselé avec le nom de chacun des morts afin que l’ombre créée par le soleil le dessine sur la pierre. Le jardin est bordé de sept cyprès comme sept gar­diens et une ligne de romarins montre la direc­tion de La Mecque. Aujourd’hui, le Jardin d’Orient du château d’Amboise est devenu pour cer­tains vis­i­teurs un lieu de recueille­ment unique en son genre.

Le Jardin d’Afrique comme un havre de vie
La force tel­lurique et imag­i­naire de ses œuvres néces­site peu de com­men­taires, pas plus que l’art rupestre du Tassili. En revanche, les métaphores qu’elles encap­su­lent mul­ti­plient les enseigne­ments forts et directs. Il faut espérer que la démarche mémorielle de ce Jardin d’Afrique en Tunisie crée des voca­tions et inci­tent des mécènes. Cette main human­iste tendue vers le monde avec générosité doit être saisie. L’inau­gu­ra­tion du mois de juin sera une formidable occa­sion de se réveiller et d’entrer, en tour­nant, dans la danse œcuménique koraïchi­enne ?

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