Assadour

Claude Lemand. "Né au Liban en 1943, Assadour quitte Beyrouth à l’âge de 18 ans, avec une bourse pour étudier la gra­vure et la pein­ture, d’abord en Italie puis à Paris. Longtemps connu comme un vir­tuose et maître de la gra­vure contem­po­raine, il a déve­loppé paral­lè­le­ment une oeuvre riche et vaste de goua­ches sur papier et d’huiles sur toile, rares et très recher­chées, car Assadour tra­vaille beau­coup mais pro­duit peu de pein­tu­res sur toile. Il a eu de nom­breu­ses expo­si­tions dans les gale­ries d’Europe, de Corée, du Japon et du Liban, dans les foires inter­na­tio­na­les et des expo­si­tions rétros­pec­ti­ves dans les musées d’Europe (Allemagne, Italie). Assadour a réussi à élaborer son propre uni­vers, à partir de deux mou­ve­ments qui l’ont attiré et influencé, le cons­truc­ti­visme du Bauhaus et le sur­réa­lisme pari­sien.

Dans les gra­vu­res comme dans les pein­tu­res d’Assadour, les figu­res humai­nes et les figu­res géo­mé­tri­ques de base ont tou­jours été inté­grées à l’esquisse d’un pay­sage urbain, avec des cons­truc­tions archi­tec­tu­ra­les qui essaient de mettre de l’ordre dans le chaos du monde tel qu’il l’a vécu à Beyrouth et tel qu’il le voit depuis tou­jours. Au cours des der­niè­res années, il a amorcé un chan­ge­ment impor­tant dans sa pra­ti­que pic­tu­rale. La cou­leur domi­nante a changé, le gris bleu et noir rem­place désor­mais l’orange ou se marie aux mul­ti­ples nuan­ces des autres cou­leurs, crée des com­po­si­tions aux mul­ti­ples sur­fa­ces contras­tées, avec une mise en lumière par­faite et maî­tri­sée. Le prin­ci­pal chan­ge­ment est dans la struc­tu­ra­tion même de l’espace : les gran­des figu­res humai­nes occu­pent désor­mais la place cen­trale de l’espace pic­tu­ral et ont rem­placé les gran­des formes archi­tec­tu­ra­les qui orga­ni­saient l’espace urbain chao­ti­que, et les mul­ti­ples figu­ri­nes ano­ny­mes que l’artiste dis­per­sait dans l’espace de ses œuvres ont pra­ti­que­ment dis­paru." (Claude Lemand)

Gérard Xuriguera. « Assadour le secret, prince du cryp­tage, à la nature rete­nue mais ardente, appa­raît tel le plus méti­cu­leux maître d’images, qu’il imbri­que, démêle, coa­gule, dis­joint encore et fina­le­ment confond en une même sub­stance. Ses agen­ce­ments pro­di­gieu­se­ment impé­né­tra­bles ne délè­guent rien au hasard. Tout est si précis dans ses chaos cal­cu­lés qu’il ne semble pas tant détruire tous les codes que les sub­sti­tuer par les siens ». (Gérard Xuriguera)

Joseph Tarrab. « Les chants déses­pé­rés sont les chants les plus beaux, dit le poète. Assadour chante à force de déchan­ter. Pour lui, dès le début, l’alter­na­tive est radi­cale : chan­ter ou crever. Il a tou­jours res­senti le monde exté­rieur, l’envi­ron­ne­ment humain, comme une agres­sion. Pour se défen­dre, il a besoin de se cla­que­mu­rer en tête-à-tête avec lui-même, avec son tra­vail de gra­veur, d’aqua­rel­liste et de pein­tre. Un tra­vail envi­sagé comme un arti­sa­nat régu­lier, précis, minu­tieux, à tant d’heures par jour. Cette méti­cu­lo­sité est thé­ra­peu­ti­que. Elle met de l’ordre dans son désor­dre inté­rieur, apaise l’angoisse et la détresse issues de sa mélan­co­lie chro­ni­que. Par un méca­nisme de pro­jec­tion com­pen­sa­toire, le désor­dre par­ti­cu­lier, sub­jec­tif, s’évacue en désor­dre uni­ver­sel, objec­tif.

Son but est de par­ve­nir, à l’aide de ces atomes géo­mé­tri­ques, à élaborer un espace-temps équivoque-plu­ri­vo­que, par déca­la­ges et décro­che­ments de plans et d’aires colo­rées. Le monde éclaté, dis­sé­miné en mille tes­sons rigou­reu­se­ment posi­tion­nés et peints, où se trouve piégé un fan­to­che humain, élément parmi les éléments, pantin qui se débat, court, ges­ti­cule ou se met en pos­ture de cru­ci­fié, ce monde fout le camp, sombre corps et biens dans le néant. Déroute d’un cosmos ano­mi­que et pour ainsi dire anti­cos­mi­que, que l’anar­chie dés­ta­bi­li­sa­trice sciem­ment, savam­ment, brillam­ment orga­ni­sée par son auteur, condamne à la dis­pa­ri­tion. Ce cou­lage, cette fuite ne sont rien d’autre que la coulée du temps, chaque moment, chaque image, chaque pensée tom­bant hors du cadre de la cons­cience.

La réflexion tech­ni­que d’Assadour se méta­mor­phose ainsi en médi­ta­tion quasi-spi­ri­tuelle. Le pei­gnage des plages colo­rées rap­pelle les pra­ti­ques des minia­tu­ris­tes et le sillon­ne­ment des jar­dins zen japo­nais, lieux de médi­ta­tion par excel­lence. Tout cela tra­dui­sant le côté “enlu­mi­neur moyen-orien­tal” d’Assadour, comme il l’avoue lui-même. Qu’il le veuille ou non, il est piégé par son voca­bu­laire formel et chro­ma­ti­que qui signi­fie en dépit et au-delà de la fina­lité qu’il lui assi­gne. L’espoir existe donc, en dépit de tout, au sein de la plus obs­cure des nuits. C’est normal : l’art n’exor­cise-t-il pas, ne conjure-t-il pas les démons assa­dou­riens, ne sauve-t-il pas le plas­ti­cien en lui per­met­tant de recréer la Création après l’avoir décréée, et la “décréa­tion” n’est-elle pas l’un des exer­ci­ces majeurs des hautes tra­di­tions spi­ri­tuel­les ? Mais ce n’est pas, en tout cas, pour Assadour, l’espoir d’une évasion de la pein­ture : comme le poète n’habite pas une terre mais une langue, le pein­tre n’habite pas le monde mais la pein­ture. C’est la seule mère-patrie dont per­sonne ne peut l’expul­ser. La pein­ture est son Arménie-Harmonie ina­lié­na­ble, son para­dis retrouvé ? Mais il dit ne connaî­tre que l’enfer. Disons son pur­ga­toire. » (Joseph Tarrab)

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